Relations et jeux de pouvoir – Un livre de Jean-Jacques Crèvecoeur

Relations et jeux de pouvoir

 

 

Vous est-il déjà arrivé de vous retrouver à faire quelque chose que vous n’aviez pas vraiment décidé de faire, d’agir sous la pression de quelqu’un? Vous êtes-vous également surpris à inciter quelqu’un à une action qu’il n’avait pas l’intention de faire? Si oui, vous êtes probablement pris, comme bien des gens, dans l’engrenage des jeux de pouvoir relationnels.

Qu’ils soient présents dans votre vie amoureuse ou professionnelle, dans vos rapports avec vos amis ou votre famille, les résultats sont souvent les mêmes. «Pourquoi, malgré les meilleures intentions du monde, en arrivons-nous à vivre des relations frustrantes et conflictuelles?», questionne Jean-Jacques Crèvecoeur, créateur d’une nouvelle approche visant à désamorcer les relations de pouvoir. En des termes simples, JJCC nous explique d’où viennent ces jeux de pouvoir dont nous sommes acteurs et/ou victimes et comment l’on peut en sortir sans trop de heurts ni d’artifices.


Monsieur Crèvecoeur, de quelle manière en êtes-vous venu à vous intéresser aux jeux de pouvoir relationnels?

En fait, ce n’est pas ma formation universitaire qui m’a conduit à explorer ce sujet, puisque je suis d’abord un physicien. À vrai dire, j’ai très vite été confronté dans ma vie intime à des difficultés relationnelles. Mon épouse et moi vivions des tensions si fortes qu’après seulement trois mois de mariage, nous étions en instance de divorce. Devant l’état déplorable de notre union, deux choix s’offraient à nous: soit nous nous séparions, soit nous commencions à chercher des moyens d’améliorer la qualité de notre relation. C’est évidemment la deuxième option que nous avons prise.


Expliquez-nous ce qu’est exactement un jeu de pouvoir?

Un jeu de pouvoir consiste à adopter des attitudes qui font en sorte que nous essayons d’avoir une emprise ou une influence sur l’autre afin de gagner ou de garder un contrôle sur lui. Nous cherchons ainsi à lui faire faire, lui faire dire, lui faire penser ou lui faire ressentir ce que nous voulons qu’il fasse, dise, pense ou ressente, contre son gré ou à son insu. D’autre part, le jeu de pouvoir se traduit la plupart du temps par le sentiment d’un malaise chez la personne qui subit cette pression exercée par l’autre.


Comment fait-on pour savoir qu’il s’agit réellement d’un jeu de pouvoir?

Nous savons qu’il y a jeu de pouvoir lorsqu’il y a présence d’un double message, c’est-à-dire une distorsion entre le message explicite et le message implicite. Le message explicite, c’est ce qui est dit verbalement par la personne et le message implicite est le message qui est sous-entendu.

Cette distorsion permet ainsi de mettre en place un troisième niveau de relation qui est l’attente ou le projet caché que j’ai sur l’autre. C’est ce qui provoque le malaise.


Donnez-nous un exemple concret de jeu de pouvoir.

Prenons l’exemple d’une femme qui dit à son ami: «Tu n’as pas envie daller au cinéma, ce soir». En disant cela, elle ne prend pas la responsabilité de sa réelle demande qui est: «J’ai envie d’aller au cinéma. Veux-tu m’accompagner?» Dans ce cas, la femme formule simplement une affirmation et elle espère ou attend que l’autre comprendra par lui-même et répondra à son envie. L’avantage de cette situation, c’est que si son ami se plaint que le film est moche, il ne pourra pas lui reprocher d’avoir pris l’initiative d’aller au cinéma, puisque, en fait, elle lui a donné le pouvoir de décider quelque chose qui était important pour elle. Et s’il lui fait des reproches directs, elle pourra toujours s’en sortir en disant: «Je ne t’ai jamais rien demandé». C’est ce qu’on appelle prendre du pouvoir sur l’autre à son insu et contre son gré. Cela se produit la plupart du temps inconsciemment, d’ailleurs.

 

Vous voulez dire que nous établissons des jeux de pouvoir sans véritablement nous en rendre compte?

En effet. La plupart de ces jeux de pouvoir sont tout à fait inconscients. Il peut s’agir d’une situation où je n’accepte pas à l’avance que l’on puisse me dire non. Pour ce faire, j’ai recours à toutes sortes de stratégies pour, par exemple, demander à un voisin de garder mes enfants pour la soirée. Je peux utiliser la flatterie afin que la personne soit dans de bonnes dispositions pour accepter: «Dis, tu as l’air en forme aujourd’hui»; ou la pitié afin que l’autre se sente coupable de refuser: «Je suis vraiment très mal pris, tu sais»; ou encore l’auto-accusation afin que l’autre se sente supérieur et joue au sauveteur: «Quel imbécile je suis! J’aurai dû te le demander plus tôt, n’est-ce pas?»; et j’en passe! Mais ce qui est surtout important de comprendre ici, c’est que l’on ne subit jamais de façon innocente le jeu de pouvoir de l’autre. Il existe, ce que l’on appelle, en Dynarsys, une complicité circulaire entre la personne qui subit la pression et celle qui l’exerce, entre la victime et le bourreau.


De quelle façon la victime est-elle complice des jeux de pouvoir qu’on exerce sur elle?

La victime est complice dans le sens où elle accepte, involontairement et inconsciemment, d’entrer dans le jeu de l’autre. Il s’agit d’ailleurs d’une grande prise de conscience à faire, surtout chez ceux et celles qui se plaignent de subir le pouvoir de quelqu’un depuis des années. Si je reprends l’exemple donné précédemment: «Tu n’as pas envie d’aller au cinéma». La personne qui accepte de prendre la décision à la place de l’autre est complice du pouvoir que l’autre essaie d’exercer sur elle. Il en va de même pour celle qui garde les enfants de son voisin alors qu’elle n’en a aucune envie. En n’exprimant pas nos limites, on permet à l’autre de les transgresser.

 

Pourquoi est-ce parfois si difficile de dire non?

De prime abord, nous devons d’abord comprendre l’origine des jeux de pouvoir: d’où viennent-ils et pourquoi les utilisons-nous? En fait, ce sont nos peurs inconscientes qui nous poussent à y entrer. Et la première peur que nous entretenons et qui fait en sorte que nous acceptons de faire des choses qui ne nous conviennent pas du tout, est simplement la peur de provoquer une rupture relationnelle. Nous craignons le conflit et la confrontation.

 

Nous avons, en quelque sorte, peur de déplaire.

Tout à fait. Nous avons peur de déplaire à l’ami ou au patron, peur de blesser le conjoint ou d’être rejeté par le parent. Mais sous la peur de la confrontation, il s’en cache une autre, encore plus profonde, qui est la peur d’être confronté à soi-même. Car dès que l’on accepte le conflit, on s’expose du même coup à entendre des choses que nous ne voulons pas entendre ou très désagréables à notre sujet. Et sous la peur d’être confronté à soi-même se cache une peur encore plus profonde: la peur du changement. En effet, si j’accepte d’entendre ces choses désagréables, je vais devoir changer un certain nombre d’attitudes et de croyances que j’entretenais à propos de la vie. À partir du moment où tout change, cela signifie que je perds une certaine sécurité, un cadre de référence.


Et si l’on accepte le changement, y a-t-il d’autres peurs qui nous poussent à entrer dans des jeux de pouvoir?

Oui, mais ces peurs sont de plus en plus inconscientes, donc difficile à détecter. Il y a, entre autres, la peur de la mort et, derrière cette peur, il y a la peur de vivre. Cela peut sembler paradoxal mais le fait de naître nous place non seulement dans une perspective de mortalité mais aussi, dans l’obligation de vivre dans un corps. Or, refuser l’incarnation, c’est vivre comme si nous n’avions pas de besoins réels. Les indices les plus visibles de ce refus se retrouvent dans les histoires d’argent. Ce sont, par exemple, les personnes qui disent: «Je laisse tomber, je ne vais pas réclamer cette somme d’argent, ça n’en vaut pas la peine». Ne pas régler ses problèmes d’argent, c’est agir comme si nous n’avions pas besoin de manger ou de se vêtir, comme si nous étions un esprit désincarné. Ne pas reconnaître et ne pas respecter ses besoins, ses émotions ou ses limites engendre des jeux de pouvoir.


Existe-t-il une façon de sortir de cette dynamique?

Oui et cela consiste à trouver un équilibre en soi qui nous permettra de ne plus être déstabilisé par les jeux de pouvoir. Pour bien faire comprendre ce principe, j’utilise l’image d’une ancre de navire. Lorsque je jette l’ancre, cela me permet de rester attaché au même endroit tout en gardant une certaine souplesse. Ainsi, le navire continue à voguer au gré des vagues, mais il ne dérive plus. S’ancrer, c’est donc être capable de rester centré sur sa réalité, sans être perturbé ou entraîné par tous les courants qui cherchent à me faire dériver. Car concrètement, les jeux de pouvoir ne fonctionnent qu’à partir du moment où je suis déstabilisé par l’autre.

 

Comment atteindre cet équilibre?

Nous atteindrons cet équilibre en nous ancrant d’abord dans notre corps. Il est inutile de faire un travail de désamorçage des jeux de pouvoir si nous n’utilisons pas toute la puissance qu’il y a dans notre corps, si nous restons seulement au niveau de notre tête.


En quoi consiste cet ancrage dont vous parlez?

Il s’agit de trouver une position d’équilibre où j’ai les deux pieds bien posés contre le sol, les jambes parallèles, les bras le long du corps ou posés sur les genoux. Si je suis debout, les deux pieds sont légèrement écartés, les genoux légèrement pliés et la colonne vertébrale bien droite. J’utilise cette position d’ancrage corporel chaque fois que je me trouve dans une situation de tension relationnelle. Cela me permet ainsi de prendre contact avec mon centre d’énergie ou le hara.

 

Que fait-on une fois que notre corps est bien ancré?

II est important de mettre notre mental en équilibre. Nous savons maintenant que notre inconscient engendre diverses peurs et croyances, qui nous conduisent à entrer dans des jeux de pouvoir. Nous pouvons croire, par exemple, que l’on est trop timide pour approcher les gens, que l’on se doit de toujours dire oui, ou encore, nous croyons que nous devons tout faire parfaitement. Plusieurs personnes se reconnaissent sans doute dans ces exemples. Or, ces croyances sont si fortement ancrées dans notre inconscient que toute tentative pour les combattre est vouée à l’échec. Dans ce cas, pourquoi ne pas simplement les accepter, tout en se donnant la permission de faire les choses autrement de temps en à autre?

 

Que signifie concrètement «se donner des permissions»?

Concrètement, ça donne ceci: «Je reconnais et j’accepte que j’aime les choses bien faites, mais pour ce travail-ci, je me donne la permission de faire des erreurs». Ou encore: «Je reconnais que mon éducation me dicte de toujours tout accepter mais je me donne la permission de dire «non» au moins une fois dans la journée si quelque chose ne me convient pas»; et finalement: «Je reconnais et j’accepte que je suis timide mais ce soir, je me donne la permission de faire les premiers pas vers une personne».

A suivre…


Source: Extrait de: TURCOTTE, Marie-Josée. Entrevue avec Jean-Jacques Crèvecoeur, Magazine Lumière, Janvier/Février 1997.

 

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